Pourquoi la grammaire?

Une adolescente de 12 ans qui veut se suicider au moment de son treizième anniversaire en brûlant, au même temps, l’appartement de sa famille, répond comme ça :

 « Pensée profonde n°10

Grammaire

Une strate de conscience

Menant à la beauté »

« Moi, je crois que la grammaire, c’est une voie d’accès à la beauté. Quand on parle, quand on lit ou quand on écrit, on sent bien si on a fait une belle phrase ou si on est en train d’en lire une. On est capable de reconnaître une belle tournure ou un beau style. Mais quand on fait de la grammaire, on a accès à une autre dimension de la beauté de la langue. Faire de la grammaire, c’est la décortiquer, regarder comment elle est faite, la voir toute nue, en quelque sorte. Et c’est là que c’est merveilleux : parce qu’on se dit : « Comme c’est bien fait, qu’est-ce que c’est bien fichu ! », « Comme c’est solide, ingénieux, riche, subtil ! ».

Poèmes et pensées de Paloma Josse dans le roman L’élégance du hérisson par Muriel Barbery (Folio, 2017), 190, 194

Je suis étonnée de lire ces phrases. La grammaire est méprisée par la majorité, je crois. Un sujet sec et ennuyeux, une corvée pour les enfants, un mystère sans solution pour les adultes, une barrière infranchissable, une source d’erreurs et d’humiliations sans cesse.

C’est dommage, car on peut y voir aussi une porte. Comme on lève le capot d’une voiture pour mieux savoir comment elle marche (ou ne marche pas, ce qui est le plus fréquent quand on se trouve sous le capot). 

Je suis d’accord avec Paloma. Mais elle ne tient pas suffisamment compte que les mots existent pour communiquer, une action qui oblige au moins deux personnes et qui existe dans le monde de chacune de ces personnes. Quand John McWhorter constate qu’une erreur n’est pas toujours une faute ni quelque chose à éviter, il parle comme linguiste et sociologue des registres de la langue. À travers la grammaire on trouve des indices aux pensées, aux normes, aux anti-normes, à la culture de ceux qui emploient la langue. Être formellement correct n’est pas toujours la meilleure façon de communiquer.

C’est ça, le côté décevant de l’apprentissage d’une langue – on se fatigue à apprendre mille règles, et puis on se rend compte qu’elles ne s’appliquent pas où on se trouve à tel ou tel moment. Et, à ce moment-là, il n’est pas stupide de décider de faire autre chose.

Par contre, si on s’obstine à apprendre la grammaire, on aura la possibilité de faire les erreurs d’un plus haut niveau (oui, c’est du progrès, ça). Éventuellement, on comprend la langue dans plus qu’un registre, ce qui ouvre les portes dans les relations humaines, dans la musique et dans la littérature. En effet, la revanche des heures d’étude, ce n’est pas la perfection, c’est de voir sous le capot d’une langue en marche.

—Kim Trinkaus