Impressionnisme : ce néologisme est dû à un obscur critique d’art, qui l’a utilisé dans un article sarcastique consacré à l’exposition d’un petit groupe de peintres en rupture avec l’ordre établi. Ne pouvant accéder au salon officiel, les membres de la « Société coopérative d’artistes peintres… » exposent pour la première fois en 1874 à l’atelier du photographe Nadar, à Paris.
Parmi eux un certain Claude Monet présente un tableau réalisé au Havre, par un matin brumeux, avec un soleil rougeoyant. Questionné sur le titre à donner à ce tableau sans véritable sujet, Monet lance « Impression » qui deviendra Impression soleil levant dans le catalogue de l’exposition; d’où l’appellation d’ « Impressionnisme » de ce mouvement pictural.
Oscar Claude Monet est né à Paris en 1840, mais son père s’installe peu après, comme épicier au Havre. À l’adolescence, le jeune Claude Monet, doué pour le dessin, se fait une petite réputation de caricaturiste auprès de la clientèle bourgeoise de son père.
En 1859, il rencontre Eugène Boudin qui détecte son talent et le pousse avec insistance à se tourner vers la peinture en extérieur. Sur son conseil également il part à Paris compléter son éducation picturale, mais sa personnalité est trop forte et il rentre vite en Normandie.
En 1864 on le retrouve à la ferme Saint Siméon à Honfleur en compagnie d’Eugène Boudin et de Barthold Jongkind, jusqu’à ce que les troubles de 1870 (occupation d’une partie de la France par les prussiens) le fassent fuir en Angleterre. Il y fait l’heureuse rencontre du marchand d’art Paul Durand-Ruel, qui lui assurera, sa vie durant, des revenus confortables, y compris dans les moments difficiles.
La suite est connue: 1871 installation à Argenteuil, avec son fameux bateau atelier, 1874 c’est l’année de l’exposition controversée, 1878 c’est l’installation à Verteuil, puis en 1883, son établissement définitif à Giverny, où il se distingue, entre autre, par une vie conjugale peu conforme aux usages du temps.
C’est aussi l’heureuse époque d’une production prolifique, avec en particulier les « séries », la toute première étant celle des « Meules » dont le Shelburne Museum possède l’une de 25 toiles. Suivront les « Peupliers » puis les très célèbres « Cathédrales » peintes à Rouen.
Après l’agrandissement de sa propriété pour y réaliser un vaste étang : c’est, jusqu’à la fin de sa vie, la période dite des « Nymphéas » Il est devenu riche et célèbre; il a Georges Clemenceau pour ami. Il voyage beaucoup: Venise, Londres. Il décède à Giverny en 1926.
Sur le plan artistique, sa rencontre avec Eugène Boudin a été déterminante. Il écrira « Si je suis devenu peintre c’est à Eugène Boudin que je le dois » Ce dernier, avec Barthold Jongkind, avait ouvert une voie où va s’engouffrer Claude Monet. Pour lui « le véritable sujet d’un tableau c’est la lumière . . . l’objet principal ne fait que lui prêter son titre, mais il le réduit à un prétexte ». On pense bien sûr aux fameuses « séries » évoquées plus haut. Il ajoute aussitôt « l’objet principal de la peinture c’est la couleur » Chez Claude Monet le dessin disparaît et c’est le cerveau, au travers de l’œil, qui le reconstitue grâce aux taches de couleurs juxtaposées.
Un ami informaticien, non dénué d’humour, me faisait récemment remarquer que l’on pouvait attribuer aux impressionnistes l’invention de la notion de « pixel ». Georges Seurat, classé postimpressionniste, va plus loin en divisant les tons en très petites touches des trois couleurs fondamentales qu’il juxtapose pour obtenir la couleur que l’œil va percevoir. Il invente ainsi le pointillisme indissociable à l’évidence de la notion de pixel.
Des critiques d’art ont cru voir en lui un précurseur de la peinture dite moderne. Faut-il aller jusque-là quand on connait l’altération de sa vision sur la fin de sa vie et l’opération—ratée—de la cataracte qui l’obligera à abandonner ses pinceaux, avant sa mort en 1926.
Et Honfleur? C’est au début de sa longue carrière qu’il y séjourne régulièrement. Entre 1864 et 1870 il y peint la baie de Seine, le port, les bateaux de pêche, et même la Lieutenance si souvent représentée depuis ! Ces tableaux sont disséminés dans le monde entier. Parmi sa production honfleuraise, il peint en particulier une vue de la rue de La Bavole. Je vous en propose une photo que j’ai prise récemment, ainsi qu’une représentation du tableau qui se trouve aujourd’hui à Mannheim en Allemagne. Son chevalet était planté là où j’ai pris ma photo. Vous noterez qu’il n’y a que peu de changement.
Il peindra également, dans les environs proches de Honfleur, ses paysages d’hiver dont l’œuvre la plus connue s’intitule La pie. Son dernier et court séjour dans notre cité a lieu en 1917.
Comment conclure cet article: ne m’en veuillez pas de reprendre mes propos, suite à un questionnement qui m’avait été adressé sur le sujet de l’Impressionnisme, à l’occasion d’un dîner qui nous réunissait lors de la venue d’une délégation de Burlington à Honfleur. Voici à peu près ce que j’avais griffonné sur un morceau de la nape en papier dudit restaurant:
-Fini l’Académisme et ses références historiques; le sujet c’est la nature, la vie de tous les jours.
-Fini les tableaux aux dimensions monumentales; les œuvres impressionnistes sont des petits formats, à l’exception de la fresque magistrale des « Nymphéas » pour laquelle Georges Clemenceau a fait construire spécialement un lieu d’exposition dans le jardin des Tuileries à Paris.
-Fini les savants dégradés de couleur. Celle-ci est appliquée en touches monochromes juxtaposées.
-Fini le dessin détaillé: un tableau impressionniste ne s’admire pas le nez dessus.
-Fini les fond sombres et les « clairs-obscurs ». Le noir n’est pas une couleur mais l’absence de couleur. (À noter que pour les funérailles de Claude Monet, Georges Clemenceau avait fait remplacer le traditionnel catafalque noir couvrant le cercueil, par une tenture aux couleurs chatoyantes.)
Enfin, si comme moi, vous êtes sensible à cette forme d’art, et à l’œuvre de Monet en particulier, retournez au Shelburne Museum pour y admirer, entre autres, les cinq tableaux de Monet qu’il possède. A titre de comparaison, notre Musée Eugène-Boudin ne possède qu’une seule œuvre de ce génie de la peinture, La falaise d’amont à Étretat, reproduite ci-dessous, en attendant votre visite à Honfleur pour l’admirer dans notre musée.
—Philippe Grenier