Pour mon épouse et moi-même, l’histoire commence en 1988. Nous venons d’emménager à Honfleur. Pour le plaisir, nous déambulons comme beaucoup de honfleurais dans le « Dauphin » (la rue très animée du même nom). A l’époque déjà, on y dénombrait plus de galeries d’art que de commerces traditionnels.
Notre regard est attiré par une des nombreuses affiches placardées sur les vitrines des magasins. C’était la photo de deux marins en vareuse bleue, devisant, assis sur un parapet du port:
Les années passent et nous revoyons la fameuse affiche, mais cette fois-ci nous la regardons de plus près, de très près—et là nous découvrons qu’il s’agissait en fait d’une aquarelle! Sans le savoir, ni même en connaître le principe, nous venions de découvrir la peinture dite « Hyperréaliste ». Cette « photo » était en fait une aquarelle de Jean-Louis Thibaut!
Il faudra attendre bien des années pour que les hasards de la vie nous rapprochent. Nous sommes nés tous les deux en 1942, et en 2023, nous avons perdu nos épouses respectives, toutes deux de fortes personnalités de la vie honfleuraise. Guidé par sa fille, Laurence, j’ai découvert le talent extraordinaire de ce peintre, honfleurais d’adoption. C’est ce que je veux vous conter maintenant, après avoir rappelé succinctement ce qu’est l’Hyperréalisme.
HYPERREALISME, vous avez dit hyperréalisme!
La paternité de cette appellation est généralement attribuée à un marchand d’art belge, Isy Brachot III. C’est le titre qu’il retient pour une exposition dans sa galerie d’art de Bruxelles en 1973. C’est cependant aux USA que ce mouvement pictural va connaître son plus grand développement.
Au début du XXème siècle, les peintres de la jeune Amérique cherchent à s’affranchir de l’influence de la vieille Europe, en représentant la réalité telle qu’ils la côtoient tous les jours. Le mouvement se développe dans les années 1960 aux USA, avec la production d’images peintes de très grandes dimensions, ressemblant—à s’y méprendre—à des photographies. C’est le « Photoréalisme », avec des thèmes là encore tirés de la vie de tous les jours.
Ce n’est que vers 1970 que les européens commencent à s’intéresser vraiment à ce mouvement, lui donnant au passage son appellation définitive d’« Hyperréalisme ».
Le dénominateur commun de ces œuvres est qu’elles sont conçues à partir de photos, qu’elles exigent à la fois une très grande virtuosité technique pour atteindre la perfection dans leur facture, et en même temps une infinie patience, tant leur exécution demande du temps, beaucoup de temps!
Jean-Louis Thibaut s’inscrit dans ce mouvement, mais avec sa sensibilité de Honfleurais.
Jean-Louis Thibaut, sa vie et son œuvre
Jean-Louis Thibaut est né en 1942. Doué d’un tempérament artistique il suit à Paris les cours de l’École Boulle, prestigieux établissement fondé en 1886 et qui au fil du temps est devenu une des plus grandes écoles d’art et de design en Europe. Son domaine initial de formation était principalement en rapport avec les métiers de l’ameublement, mais il s’est élargi avec le temps pour englober d’autres professions artistiques, la ciselure en particulier.
C’est précisément ce que va étudier, cinq années durant, Jean-Louis Thibaut, en y pratiquant la gravure au burin sur de petits formats—le travail des plus minutieux s’il en est! On verra plus loin l’influence que cela va avoir sur ses choix artistiques.
Diplôme en poche, il poursuit ses études à l’École des arts décoratifs de Paris, et très vite entre dans la vie active. De 1967 à 1974 il exerce ses talents comme « maquettiste » dans plusieurs agences de publicité ou cabinets d’architecture d’intérieur, en région parisienne.
Sa vie bascule en 1975 quand, à l’occasion d’une escapade en Normandie en compagnie de son épouse Danièle, bibliophile compétente et reconnue, ils tombent tous les deux sous le charme de notre cité, où ils sont venu passer la nuit. Le lendemain, par le plus grand des hasards, leurs pas les mènent face à une affiche « A louer » apposée sur une des maisons à double orientation du quai Sainte Catherine. Le rez-de-chaussée, donnant sur le quai, sera pour monsieur, et madame, changeant du tout au tout d’activité, reprendra le commerce de friandises ouvert sur la rue des Logettes, face au chevet de l’Église Sainte-Catherine. « Dan », comme l’avaient surnommée les honfleurais, tiendra plus de trente années ce commerce emblématique.
Las ! La propriété qu’ils décident de louer est en piteux état! Jean-Louis va retrousser ses manches et, avec l’aide d’artisans locaux, va redonner forme humaine à ce bâtiment qui en avait grand besoin. Il réalise alors son rêve. Il se lance dans la peinture, et très tôt privilégie l’aquarelle.
Ses premières expériences picturales lui ont en effet montré que le climat normand n’était guère propice à la peinture en extérieur, assujettie qu’elle était aux aléas climatiques. Il va donc capter ses sujets par le biais de la photographie, photos qu’il réalise sans artifice, en éclairage naturel. Il va pouvoir ainsi assouvir son obsession du détail, encouragé qu’il est par sa formation: il a été formé à graver à la pointe sèche des gravures de petit format sur des plaques de cuivre, souvent même avec une lunette grossissante, tant c’est minutieux.
Comme il le dit lui-même, il est fasciné par « la maitrise et le talent des anciens et par leur faculté à reproduire à la perfection l’infiniment petit » On comprend mieux ainsi la logique de son parcours artistique.En 1984 il ouvre son atelier quai Sainte Catherine et à partir de cette époque adopte un plus grand format pour ses œuvres. Pour lui l’aquarelle est une école de la rigueur, de l’opiniâtreté ; il ajoute « L’aquarelle se prête très bien à toutes les nuances de la sensibilité : la fluidité, la transparence, la limpidité, le flou et parfois le hasard. C’est un jeu permanent entre l’eau et la couleur ».
C’est dans la réalisation de portrait qu’il assouvit sa passion du détail. Ses sujets sont des « gens ordinaires, authentiques, de ceux qui vous interpellent par leur vécu ». En un mot on dirait aujourd’hui des « belles gueules ».
Mais cette fascination du détail, il l’applique également aux paysages ou sujets de marines que lui offre le port de Honfleur. Pour en parfaire le réalisme c’est « du bout de son pinceau, détail après détail, qu’il capte l’âme de son sujet ». Il le travail jusqu’à complète et entière satisfaction de ses propres exigences. Peu importe le temps, dit-il, « seule la finalité compte ». Cela demande rigueur et discipline, valeurs insuffisamment répandues dans le temps présent.
Il précise qu’il « regarde, encore et encore, la toile, jusqu’à ce qu’il ne trouve plus rien à ajouter ». Alors, alors seulement, il appose sa signature, après des dizaines et des dizaines d’heures de travail. Autant dire que la rentabilité n’est pas son obsession!
Jean Louis Thibaut a d’abord exposé à Honfleur, dans différentes galeries. Puis c’est au Grand Palais à Paris au Salon d’Automne 1991, ainsi qu’en 1996 et 2007 au Salon de la Marine au Palais de Chaillot.
Sa clientèle est internationale: anglaise, néerlandaise, suédoise ou danoise, mais curieusement pas germanique, tout au moins à sa connaissance.
C’est un client privilégié, Serge Finck, qui lui a ouvert les portes des États-Unis. Cet homme d’affaire, qui œuvrait dans le domaine du prêt à porter, des deux côtés de l’Atlantique, s’est pris de passion pour ses œuvres au point d’organiser en 1987 à New Canaan (Connecticut) une exposition des aquarelles qu’il avait acquises.
Cet homme d’affaire propose alors à J.-L. Thibaut de commercialiser des reproductions de grande qualité d’une sélection de quatre des ses œuvres. La technique retenue est la sérigraphie, où chaque couleur est successivement appliquée. Il fait appel à une prestigieuse entreprise, celle de Michel Caza, l’un des trente membre de l’ « Academy of Screen Printing Technology ». Cette entreprise reproduit également par exemple des œuvre de Léonore Fini, Salvador Dali, Victor Vasarely, etc.
Mais les mondes de la mode et de la peinture sont fort différents, et le succès commercial n’a pas été au rendez-vous. Une curieuse retombée en perpétue la trace en France, et c’est à la Bibliothèque nationale, que deux exemplaires des reproductions sérigraphiées de ces quatre aquarelles sont aujourd’hui conservées!
Pour conclure ce voyage en terre méconnue que constitue l’« Hyperréalisme », admirez cette peinture acrylique sur toile noir/bistre de Jean-Louis Thibaut, peinte en 2008, agrandissement (80 x 61cm) d’une carte postale vers 1900 monochrome, représentant le retour de la pêche à la coque dans le port du Crotoy en baie de Somme.
Amis de Burlington, lors de votre prochaine venue à Honfleur, ne manquez pas de visiter la galerie G. Wuilbaut, dans « Le Dauphin ». Des œuvres de J.-L. Thibaut y sont régulièrement exposées. Vous pourrez en attendant visiter les sites internet de cet artiste honfleurais sur Google en tapant tout simplement:
Jean-Louis Thibaut, artiste peintre Honfleur
—Philippe Grenier, à Honfleur